L'immigration choisie et l'enseignement de l'Eglise
29 avril 2006
La cacophonie autour du projet de loi de Nicolas Sarkozy sur l'immigration choisie n'est pas près de se taire et pourtant, nous ressentons tous le besoin de faire une pause pour essayer d'y voir clair. Lançons-nous et plaçons-nous dans le cadre d'une migration liée au travail :
Les devoirs de l'Etat
- Tout Etat souverain a en charge le Bien Commun qui supose en premier lieu le respect de la dignité humaine (enseignement, logement, soins, etc) et en second lieu un travail (droit parce que devoir), le respect de la famille (sacrement de mariage ou mariage naturel)(Gaudium et Spes; CEC 1907).
L'émigration
- Le droit d'émigrer (Gaudium et Spes) est légitime dans le cas où une de ces conditions n'est pas remplie par un Etat. Mais l'émigration prive le pays d'origine d'un sujet du travail, qui par l'effort de sa pensée et de ses mains, pourrait contribuer à l'augmentation du bien commun dans son pays, qui y a plus droit que le pays d'accueil. L'émigration est sous certains aspects, un mal (Laborem exercens).
- L'émigré a des devoirs incompressibles vis-à-vis de la société qui l'accueille (CEC 2241).
L'immigration
- Le droit d'accueilir passe par le devoir de l'Etat de donner à chacun des arrivants : un travail, la possibilité que sa famille rejoigne le plus rapidement possible et les conditions mimimales liées au respect de la dignté humaine (compendium de la doctrine sociale de l'Eglise 298).
Aucun Etat n'ayant le droit de faillir à ces obligations, si un de ces points n'est pas possible, l'accueil de l'autre n'est pas une obligation.
- L'Etat a le droit de réglementer les flux migratoires (CEC 2241).
- L'Etat, ayant accepté des immigrés, a le devoir de les gérer avec autant d'humanité que ses propres ressortissants.
Le projet de loi
Les points forts de ce projet de loi sont essentiellement
- le durcissement du regroupement familial (SMIC et présence minimale passant de 12 à 18 mois),
- la nécessité de justifier non d'un travail, mais d'un salaire suffisant,
- le principe de choisir une population émigrée formée pour palier les carences de notre système économique,
- la suppression du droit des clandestins d'obtenir automatiquement une carte de séjour au bout de 10 ans,
- la création d'une carte "compétences et talents" pour les étrangers présentant un projet favorable au développement de la France,
- l'obtention facilitée pour les étudiants étrangers d'un titre de séjour dès lors que le pays d'origine aura validé leur projet.
Les premières incompatibilités
La première porte sur le regroupement familial dont les conditions sont durcies par le projet. L'Eglise demande que le délai soit réduit à son minimum.
La seconde est mise en évidence par la situation propre du pays d'accueil : En vue du bien commun, un des devoirs de l'Etat est d'assurer à chacun un travail (actuellement 9 à 10% de chômeurs), une vie de famille et des conditions de vie décentes (il manque des dizaines de milliers de logements en France).
La troisième réside dans la fuite à l'extérieur des pays d'origine des gens formés pour satisfaire l'économie française au détriment de leur "patrie d'origine" (Jean-Paul II in Laborem Exercens).
Conclusion
Ce projet de loi présente des points de discorde avec la doctrine sociale de l'Eglise, dont un (le regroupement de la famille) qui s'en éloigne. Certes, les conditions actuelles de l'immigration en France ne sont pas reluisantes et certains peuvent être tentés de dire que ce projet les améliore. Il serait ainsi licite de dire que c'est un bien s'il était ordonné à un plus grand bien, s'il était une étape vers le Bien, qui doit être défini et annoncé. Or, ce n'est pas le cas. Dans le cas inverse, il constitue un moindre mal, qui reste un mal condamnable.
Le but de ce post n'est pas de jeter le discrédit sur tel ou tel religieux, tel ou tel politique, ni de faire des prospectives electorales, etc, etc
Le but est de passer objectivement ce projet de loi au crible de la doctrine sociale de l'Eglise. Les commentaires peuvent sans aucun doute apporter des réflexions intéressantes.
Mais tous les commentaires qui n'iront pas dans ce sens seront de facto supprimés.
Rédigé par : Lahire | 29 avril 2006 à 11:51
Le problème est compliqué, et je vous avoue avoir du mal à m'y retrouver;
Je vous remercie pour cette analyse qui permet d'y voir un peu plus clair.
Rédigé par : zebre | 29 avril 2006 à 13:03
- Le droit d'accueilir passe par le devoir de l'Etat de donner à chacun des arrivants : un travail (...) (compendium de la doctrine sociale de l'Eglise 298).
- (...) si un de ces points n'est pas possible, l'accueil de l'autre n'est pas une obligation.
Lisai-je bien ?
Si oui, alors cela signifie que le refus de nouveaux immigrants dans des branches sans possibilité d'emploi est totalement justifié par la doctrine sociale de l'Eglise, non ?
Donc, lorsqu'on critique l'émigration "choisie" - c'est à dire celle qui assure à l'immigré UN TRAVAIL - on va CONTRE la Doctrine Sociale de l'Eglise, qui, elle, stipule que sans la possibilité d'un emploi, il n'y a plus de devoir d'accueil ?
Ai-je bien tout compris ?
Rédigé par : Mandrake le Magicien | 29 avril 2006 à 13:23
Oui.. et non. :-)
Oui, le travail est un devoir pour l'homme.
S'il ne peut le remplir chez lui, il peut aller le chercher ailleurs. Encore faut-il qu'il y en ait...
Non, car il ne faut pas avoir une vision utilitariste de l'homme : l'homme n'est pas une entité dans une branche d'emploi cloisonné dans un secteur, mais un être humain qui a le droit et de devoir de travailler. Il doit donc être en mesure de prendre tout emploi qu'il est capable de tenir. Au même titre, la société doit tout mettre en oeuvre pour lui fournir un travail (alternance formation-travail, etc...)
Rédigé par : Lahire | 29 avril 2006 à 14:04
Le plus simple ne serait-il pas de calquer nos méthodes d'immigration sur celles du Vatican ?
Comment dites-vous ? C'est sans doute l'état le plus hérmétique au monde ! Ah bon, dommage !
Les conseilleurs ne sont pas les payeurs, c'est bien connu !
Rédigé par : Michel | 29 avril 2006 à 14:39
@ Michel
Revoyez la différence entre Saint-Siège et Vatican.
Surtout, votre post permet de repréciser que l'Eglise n'a jamais contraint un Etat à accueillir des immigrés. Elle laisse l'Etat souverain dans ses décisions. La fermeture des frontières n'est pas interdite par l'Eglise!
En revanche, si un Etat ouvrre ses frontières, elle rappelle, car c'est son devoir, l'obligation qu'il a de respecter la dignité de la personne humaine.
Rédigé par : Lahire | 29 avril 2006 à 14:43
Incompatibilités dites vous ?
Pour ce qui estdu regroupement familial, qu'est-ce qui vous dit que 18 mois n'est pas le strict minimum. Quant aux conditions financières, il est évident que s'il ne touche pas au moins le SMIC (allocs non comprises) il ne sera pas en mesure de faire vivre sa famille décemment.
Vous dîtes que m'immigré doit être en mesure de prendre tout emploi dont il est capable. Autrement dit s'il n'y a de postes dans aucun métier donc l'immigré est capable (et dont il veuille), il est légitime de lui refuser l'entrée.
Et pour finir, ce n'est pas forcément dans les postes d'ingénieur qu'il y a le plus de place pour des immigrés.
Rédigé par : lechercheurmasqué | 30 avril 2006 à 15:38
@ chercheur masqué
Quand l'Eglise parle du strict minimum, elle ne parle pas, une fois de plus, au niveau temporel, mais au niveau spirituel. Et 18 mois d'absence du père ou de lamère, de l'époux ou de l'épouse, c'est évidemment trop pour le sacrement de mariage et la vie de famille telle que l'Eglise demande qu'elle soit vécue.
Le SMIC hors allocation suffit à faire vivre une famille? Je ne crois pas. Et si c'était le cas, à quoi serviraient les allocations?
Concernant le travail de l'émigré, oui à la nuance près qu'il n'y a aucune société même en Europe qui ne soit en mesure de proposer un emploi qu'il soit capable de tenir (ouverture à l'est aujourd'hui, etc...).
Enfin concernant les ingénieurs, rien n'est moins sûr : il en manque en France dans l'ingenierie informatique, par exemple. De plus la pénurie de médecins est réelle et ne devrait pas tarder à peser lourd en France.
Rédigé par : Lahire | 30 avril 2006 à 16:25
Concernant le regroupement familial, il y a aussi un minimum au niveau temporel: il est nécessaire que l'immigré ait une situation stable (car l'errance n'est pas bonne non plus pour une famille) et qu'il se soit intégré (sinon sa famille ne pourra pas s'intégrer), donc il y a bien un temps minimum à passer dans le pays d'accueil avant de faire venir sa famille. Evidemment le SMIC seul ne permet pas d'élever une famille mais si le montant du salaire et des allocations cumulés atteignent seulement le SMIC, c'est insuffisant. C'est pour ça que le montant des allocations ne doit pas être pris en compte pour déterminer si le regroupement familial est posssible.
Pour votre 2ème point, c'est vrai mais, un Etat est souverain pour déterminer qui il laisse entrer sur son territoire. En acceptant l'entrée sur le territoire d'un immigré, l'Etat acquiert des devoirs envers lui, mais pas tant qu'ils ne sont pas autorisés à entrer sur le territoire et qu'ils sont encore dans leur pays (je ne parle pas des clandestins car un état ne peut pas les expulser n'importe comment).
Pour les ingénieurs l'offre d'emploi dans l'informatique à quand même sérieusement diminué depuis 2001-2002, et accessoirement ce n'est pas forcément un domaine où il y a de l'emploi dans les pays d'origine. Quant à la pénurie de médecins, c'est partiellement vrai mais en changeant certaines règles, en particulier en imposant aux médecins nouvellement diplomé de travailler dans le secteur géographique de leur université pendant un certain temps, on pourait gagner du temps et pouvoir augmenter le nombre de places en deuxième année de médecine (savez vous par exemple
Rédigé par : chercheurmasqué | 30 avril 2006 à 23:51
Sur le regroupement familial, l'Eglise va même juste parler d'accueillir l'immigré avec sa famille : le délai doit donc être le plus court possible. De toutes façons 18 mois, c'est humainement trop long. Rappelons nous Benoît XVI qui qualifiait la famille d'une valeur non-négociable.
concernant le salaire : l'émigré qui a une famille de 10 enfants ne pourra pas justifier recevoir le salaire suffisant pour les faire vivre s'il reçoit le SMIC. Or si il ajoute les allocations, il peut. La sélection de la famille se ferait-elle sur le potentiel économique du travailleur?
Vous avez parfaitement raison : sitôt qu'un Etat souverain accueille un émigré (qui devient de fait immigré), il a des devoirs envers lui : un travail, la vie de famille et le respect de la personne humaine.
Concernant l'ingénierie informatique, l'offre de travail est tellement faible en France que l'Etat recrute pour la fonction publique en Inde!
Ensuite, pour les médecins, il y a sans doute des améliorations à faire comme celles que vous proposez. Et quand on voit le taux d'échec en première année, on pourrait aller encore plus loin...
Mais par ailleurs, il y a déjà des carences phénoménales dans certains secteurs : prenez le cas de la chirurgie spécialisée (viscérale, je crois) pour enfants par exemple. Aucun étudiant en fac de médecine est dans cette spé et la moyenne d'âge des 4 derniers chirurgiens est de 64 ans... Il y a des urgences à prendre en compte.
Rédigé par : Lahire | 01 mai 2006 à 00:23
Vous dites :"l'émigré qui a une famille de 10 enfants ne pourra pas justifier recevoir le salaire suffisant pour les faire vivre s'il reçoit le SMIC. Or si il ajoute les allocations, il peut. La sélection de la famille se ferait-elle sur le potentiel économique du travailleur?"
Il ne me semble pas que celà soit dans le projet de loi, pour lequel le travailleur devra jusitfier d'un salaire minimum tel que si on lui ajoute les allocations celà lui permette de faire vivre sa famille dans des conditions décentes. Or actuellement il faut qu'il atteigne ce minimum allocations comprises.
Pour ce qui est du temps, prenons l'exemple de l'armée où le mutation se font tous les deux ans. Ce délai me semble le temps minimum pendant lequel une famille doit rester au même endroit. Donc avant de l'autoriser à faire venir sa famille, il faut être sûr qu'il a une situation stable.
Rédigé par : lechercheurmasqué | 01 mai 2006 à 12:44
Pour synthétiser l'enseignement de l'Eglise : A partir du moment où un Etat accueille chez lui un émigré, il doit tout faire pour que sa famille rejoigne au plus tôt. allonger le délai s'y oppose.
J'avoue ne pas comprendre votre parallèle avec l'armée. Les militaires vivent en famille, il me semble. Non? Si c'est le cas, ils arrivent quand même à s'intégrer avec elle dans leur nouvelle ville même s'ils restent deux ans. Non?
Pardonnez-moi, mais je ne vois pas où vous voulez en venir.
Rédigé par : Lahire | 01 mai 2006 à 14:46