C'est le titre d'une intervention de monseigneur Jean-Louis Bruguès, secrétaire de la Congrégation pour l'éducation catholique, qu'il pronoça au cours d'un séminaire international sur "la politique, forme exigeante de charité" organisé par le Conseil pontifical "Justice et paix".
Notons deux points avant de rentrer dans le vif du sujet :
- voilà bien longtemps qu'un évêque français ne s'était pas risqué sur une question aussi délicate;
- certains points, qui ne remettent pas en cause l'essentiel du discours, risquent de froisser les lecteurs catholiques, comme de citer Edmond Michelet comme modèle d'engagement politique. Chacun sait la polémique (ici, ici ou là) dont il est l'objet dans l'Église qui est en France, surtout depuis qu'on parle de procès en béatification. Sans leur enlever toute leur importance (au contraire), ces points de divergence ne seront pas soulevés ici car ils méritent d'être traités du mieux possible ailleurs et nous préférons nous arrêter sur l'essentiel du message de monseigneur Bruguès plutôt que de juger les exemples qu'il utilise.
Monseigneur Bruguès part dès son introduction de l'image du vitrail de Saint Louis :
"pour le spectateur se trouvant à l'intérieur de l'édifice, une figure
de vitrail ne réfléchit pas la lumière comme les autres images. Elle
est elle-même source de lumière. Or, c'est bien ainsi qu'il faut voir
ce roi et ce saint : une fontaine de clarté illuminant tout et tous
autour de lui, et dont les rayons nous parviennent encore à travers
sept siècles de vicissitudes diverses".
Il déplore ensuite le désintérêt des jeunes pour la politique. Il y voit trois "excuses" majeures qu'il réfute :
- La politique divise;
- La politique salit;
- Il y a mieux à faire que de la politique.
"Vous n'avez pas le droit de détourner votre cœur et votre
intelligence de la cause politique". Il fallait redire l'importance
capitale qu'elle revêt pour celui qui veut suivre l'évangile et en
vivre. Au milieu du siècle dernier, entre les deux guerres, alors que
le nazisme montait en puissance, Pie XI expliquait que la politique
était la chose la plus importante, après la religion. Il y voyait la
force suprême de la charité. Il existe donc une forme de sainteté
politique, de sainteté par la politique - et non pas malgré elle -,
illustrée de multiples manières...".
Il développe ensuite les deux convictions à posséder dans l'engagement politique :
- " Il n'y a de pouvoir politique que dans le service.
- En politique, ce qui unit doit être plus fort que ce qui divise.
Le respect de la personne humaine, de sa dignité et des
droits qui en découlent (...) Une politique qui ignorerait la
dignité de la personne humaine, ou la bafouerait délibérément, perdrait
du même coup sa légitimité [on regrette le manque de référence à l'avortement et autres crimes organisés. NDL].
La défense et la protection du groupe
considéré. Une politique doit se munir des moyens nécessaires et
proportionnés pour faire face aux menaces, extérieures et intérieures,
qui mettraient en cause son unité, son existence et son avenir. Une
politique qui laisserait le groupe sans défense perdrait du même coup
sa légitimité.
L'accès de tous à la culture du groupe.
Cette notion de bien commun permet de comprendre que si, le plus
souvent heureusement, la politique emprunte les voies de la
confrontation pacifique, quand le bien commun est remis en cause de
manière très grave et répétée, elle peut revêtir exceptionnellement des
formes de résistance et de rébellion. Le légal n'est pas le légitime.
La loi n'est pas la référence suprême. Depuis Antigone et depuis
Socrate, depuis les premières générations chrétiennes, sans oublier les
témoignages sanglants qui jalonnent l'histoire de notre Église, nous
savons qu'il est des « lois murmurées au cœur » (Sophocle), lois
divines de la conscience, qui sont supérieures à celles de la Cité. Il
est conforme à la dignité humaine de les suivre, au prix de sanctions
redoutables, quelquefois même au prix de la vie".
Sa dernière partie porte sur les devoirs :
"Nos devoirs envers notre communauté politique sont tout simplement des
devoirs d'appartenance familiale, selon la présentation qu'en fait le Catéchisme de l'Eglise catholique
(Troisième partie, seconde section, chapitre II). Ce rattachement de la
chose politique à la vie familiale, que n'acceptent guère les
philosophes politiques du moment, me semble se trouver au cœur de la
sainteté politique. Ils fournissent, en effet, la trame de ce que l'on
nomme l'engagement (...)
- L'intérêt (...)
- La civilité (...)
- La gratitude.(...)Je rappellerai que l'intercession en faveur des
autorités figure parmi les plus anciens témoignages de la prière
chrétienne.
- La participation".
Il conclut en abordant de manière très juste la question de fond de la fraternité vue sous l'angle politique :
"La fraternité appartient désormais au vocabulaire commun des hommes
politiques ; on ne peut que s'en réjouir. Le terme figure dans la
devise de plusieurs États.
Une question se pose cependant à
laquelle nous devrions accorder la plus grande attention. On se
reconnaît frères dans une commune référence à un père. Or, une société
sécularisée qui rejette le principe d'un fondement extra-séculier, de
nature métaphysique ou religieuse, récuse de ce fait toute figure
paternelle.
Ainsi s'expliquerait à mes yeux l'impossibilité pour nos
sociétés de vivre une réelle fraternité, comme s'il s'agissait d'un mot
utopique, toujours rêvée, jamais réalisée. En abandonnant les
convictions religieuses au seul espace privé de la conscience
individuelle, la société sécularisée « oublie » la question de Dieu et,
plus généralement, celle de la transcendance. Le Dieu de la Bible est
un Père ; le Christ est venu nous révéler cette paternité. En faisant
de chacun de nous un fils adoptif d'un même Père, il a posé les
fondements d'une fraternité vraiment universelle. En se passant du
christianisme, une société s'interdit de vivre réellement la
fraternité.
Peut-on parvenir à une fraternité authentique
sans se référer à un Père commun ? Voilà un défi inédit pour notre
temps de sécularisation".
Le bien commun n'est exclusif de personne, surtout pas des chrétiens. La fraternité des chrétiens, fils de Dieu, doit se voir sur la place publique où se joue une partie de la politique à cette seule exclamation de saint Paul : "regardez comme ils s'aiment"!
Le bien commun appelle le combat commun dans la charité fraternelle.
Lahire