Le parvis des gentils : présentation par le cardinal Ravasi (2)
21 mars 2011
Après une présentation générale de cet événement de la première importance pour le XXI° siècle malgré le silence de la presse, voici le discours de présentation du parvis des gentils donné par le cardinal Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical de la culture.
D'un style bien inhabituel pour une éminence de la Curie, mêlant une très grande culture bien française à un humour bien posé, cet article, d'abord publié dans l'Osservatore Romano du 24 février 2011, est en avance sur son temps, bien au-delà de toutes les petites querelles qui préoccupent tant d'esprits catholiques.
Extraits :
"Il existe dans notre monde des croyants qui croient croire et des non-croyants qui croient ne pas croire
s’interroger sur la signification ultime de l’existence ne concerne pas le sceptique sardonique et sarcastique qui ne vise qu’à ridiculiser les assertions religieuses. Par ailleurs, une personne qui s’y entendait pour parler d’athéisme, le philosophe Nietzsche, n’hésitait pas à écrire dans le Crépuscule des idoles (1888) que «ce n’est que si un homme a une foi robuste, qu’il peut s’adonner au luxe du scepticisme». Le rationaliste, enveloppé dans le manteau glorieux de son autosuffisance cognitive, ne veut pas lui non plus courir le risque de s’avancer sur les sentiers de montagne de la sagesse mystique, selon une grammaire nouvelle qui participe du langage de l’amour, qui est bien différent de l’épée de glace de la raison pure, aussi importante soit-elle par ailleurs (...)
La rencontre entre croyants et non-croyants a lieu lorsque l’on laisse derrière soi les apologétiques féroces et les désacralisations dévastantes et qu’on ôte le voile gris de la superficialité et de l’indifférence, qui saborde l’élan profond à la recherche, et que se révèlent en revanche les raisons profondes de l’espérance du croyant et de l’attente de l’agnostique. Voilà pourquoi on a imaginé le «Parvis des Gentils», inauguré à Bologne, dans son antique université, et à Paris à la Sorbonne, à l’unesco et à l’Académie française. Laissons de côté la dénomination historique qui n’a qu’une fonction symbolique, évoquant l’atrium qui dans le temple de Jérusalem était réservé aux «gentils», les non-juifs en visite à la ville sainte et à son sanctuaire. Arrêtons-nous en revanche sur son aspect thématique, que fait briller Dagerman. L’un des intellectuels juifs les plus ouverts du ier siècle, Philon d’Alexandrie, artisan d’un dialogue entre le judaïsme et l’hellénisme — c’est-à-dire selon les canons de l’époque, entre les fidèles yahvistes et les païens idolâtres — définissait le sage avec l’adjectif methòrios, c’est-à-dire celui qui est sur la frontière. Il a les pieds plantés dans sa région, mais son regard va au-delà de cette frontière et son oreille écoute les raisons de l’autre.
Pour réaliser une telle rencontre, il faut s’armer non d’épées dialectiques, comme dans le duel entre le jésuite et le janséniste dans le film La Voie lactée (1968) de Buñuel, mais de cohérence et de respect : cohérence avec notre propre vision de l’être et de l’existence, sans déformations syncrétistes, débordements fondamentalistes ou approximations propagandistes ; respect pour la vision d’autrui à laquelle il faut réserver de l’attention et qu’il faut aller vérifier (...)
Mais aussi pour un autre motif. Croyants et non-croyants se trouvent souvent sur l’autre terrain par rapport au terrain de départ: il existe, en effet, comme on dit, des croyants qui croient croire, mais sont en réalité incrédules et, à l’inverse, des non-croyants qui croient ne pas croire, mais leur parcours se déroule à ce moment-là sous le ciel de Dieu (...)
En dernière analyse, il n’y a peut-être qu’un seul obstacle à ce dialogue-rencontre, celui de la superficialité qui délave la foi en une vague spiritualité et réduit l’athéisme à une négation banale ou sarcastique (...)
Tel est le grand risque qui met en difficulté une recherche réciproque, en enveloppant le croyant d’une mince aura de religiosité, de dévotion, de ritualisme traditionnel, et le non-croyant plongé dans le réalisme pesant des choses, de l’immédiat, de l’intérêt. Comme l’annonçait déjà le prophète Isaïe, l’on se retrouve dans un état d’atonie: «et je regarde: personne! Parmi eux, pas un qui donne un avis, que je puisse interroger et qui réponde!» (41, 28). Le dialogue sert justement à faire pousser la tige des questions mais aussi à faire fleurir la corolle des réponses. Tout au moins de quelques réponses authentiques et profondes".
"Il existe dans notre monde des croyants qui croient croire et des non-croyants qui croient ne pas croire", Saint-Exupéry appartenait à mon avis à la dernière catégorie.
Rédigé par : SD-Vintage | 21 mars 2011 à 12:30