Belgique : les religieuses pallient les insuffisances de la justice
30 août 2012
Dans Le Point, Daniel Salvatore Schiffer défend les religieuses belges qui accueillent la femme de Marc Dutroux, libérée par la Cour de cassation le 28 août :
"[...] Car, entre les déplorables carences de la justice belge et la grandeur morale des parents de ces petites martyres, il reste encore à comprendre - et je peux dire là, en âme et conscience, justifier - ce qui motive, en toute logique, les soeurs du couvent des Clarisses de Malonne, paisible bourgade située non loin de la ville de Namur, à accueillir aussi généreusement, peut-être à leurs risques et périls, une Michelle Martin, la femme la plus honnie du royaume, qui, sans leur providentiel secours, ne saurait où aller ni à quel saint (c'est le cas de le dire) se vouer, risquant même de se faire lyncher par une foule assoiffée de vengeance, à partir du moment où, soudain livrée ainsi à la rue, cette libération met sa vie, paradoxalement, en danger.
Heureusement, donc, que ces bonnes soeurs sont là pour pallier les insuffisances de la justice ! Mais, en cette Belgique encore traumatisée par le pire crime de son histoire judiciaire, nombreux sont pourtant ceux qui s'insurgent, à grand renfort de slogans à l'emporte-pièce, contre l'attitude de ces religieuses. Ils ont tort, cependant ! Car ces miséricordieuses soeurs - et c'est un athée qui parle ici - ne font jamais là, animées par ce que les croyants nomment "l'esprit saint", qu'appliquer scrupuleusement les préceptes bibliques, que mettre très concrètement en pratique l'enseignement de l'évangile lui-même : aime ton prochain, fût-il un criminel, comme toi-même ; tends la joue droite à ceux qui te frappent sur la joue gauche ; ne t'endors pas le soir en n'ayant pas pardonné à ton ennemi ! Il y a en effet là, en cette pure et inconditionnelle charité chrétienne, quelque chose de profondément christique, de magnifiquement divin tant cet héroïque geste dépasse, quelle que soit notre difficulté à l'admettre, l'entendement humain...
N'est-ce pas d'ailleurs le Christ qui, alors même qu'il était sur le point de rendre l'âme sur sa croix, accueillit au paradis le larron qui, crucifié lui aussi, implorait alors le pardon de ses péchés ? N'est-ce pas encore ce même Christ qui, empli de compassion, empêcha la femme adultère, que les plus médisants disaient prostituée, de se voir lapidée, sans pitié ni remords, par la foule ? Ses paroles, à cette occasion-là, sont restées célèbres : "Que celui qui n'a jamais péché jette la première pierre ; va, repens-toi et ne pèche plus."
C'est très exactement de cet esprit-là, pour incompréhensible qu'il soit au commun des mortels, que soeur Christine, abbesse du couvent des Clarisses, qui a une longue tradition d'accueil des personnes les plus vulnérables, s'inspire lorsqu'elle énonce, pour justifier la décision de son ordre, ces mots : "Madame Martin est un être humain capable, comme pour nous tous, du pire et du meilleur. (...) Nous croyons donc que tabler sur le meilleur d'elle-même n'est pas de l'inconscience de notre part." Que vaudrait par ailleurs le sacrifice du Christ en croix, descendu sur terre pour racheter les péchés du monde, s'il n'y avait, afin de gagner la vie éternelle, la possibilité du pardon ? C'est là l'essence même du christianisme, son fondement théologique tout autant que sa raison d'être. Sans cela, autant fermer les églises ! Ces catholiques qui protestent bruyamment en place publique pour demander la peau de Michelle Martin, au prétexte qu'ils n'oublient pas la gravité de son crime, devraient le savoir, eux qui vont à confesse chaque dimanche et se gargarisent de catéchisme. D'autre part, pardonner ne signifie pas oublier - bien au contraire, et c'est même là que réside la grandeur du pardon - pas plus que le repentir d'un individu n'équivaut, loin de là, à l'exonérer de son passé, ni la pénitence à effacer le mal qu'il a fait.
Oui, je le clame ici haut et fort, quitte à choquer les bien-pensants ou à heurter l'opinion publique : ces religieuses du couvent des Clarisses, en accueillant cette grande pécheresse de façon aussi désintéressée, sans même exiger auparavant d'elle une quelconque conversion à leurs propres convictions, sont là, conformément à leur vocation première tout autant qu'en parfaite cohérence avec la mission qu'elles se sont fixée, des chrétiennes exemplaires et, tout à la fois, d'une humanité sans pareille. Elles sont l'incarnation même, en leur généreuse humilité, de la foi chrétienne en ce qu'elle a - et c'est encore là le même athée qui parle - de plus noble et grand. [...]"