Lorsque notre liberté s'oppose à la réalité, elle devient destructrice
01 juillet 2013
Le cardinal Camillo Ruini, qui fut vicaire de Rome et président de la conférence des évêques d’Italie, a été interrogé par le Foglio. Extraits :
"La décision prise par la cour suprême semble confirmer que nous sommes confrontés à une avalanche impossible à arrêter qui va surmonter toute exception à propos de l’égalité entre mariage hétérosexuel et mariage homosexuel. Est-ce là le terrain sur lequel s’organisera le débat relatif au développement de la civilisation au XXIe siècle ?
Je pense vraiment que oui. Bien évidemment, la question des mariages homosexuels s’insère dans le problème plus vaste de la conception que nous avons de l’homme, c’est-à-dire de ce qu’est la personne humaine et de la manière dont elle doit être traitée. Un aspect très significatif de notre être est que nous sommes structurés selon la différence sexuelle, en hommes et en femmes. Comme chacun sait, cette différence ne se limite pas aux organes sexuels, mais elle concerne toute notre nature. Il s’agit d’une différence primordiale et évidente, qui précède nos décisions personnelles, notre culture et l’éducation que nous avons reçue, même si tous ces éléments ont à leur tour beaucoup d’influence sur nos comportements. Voilà pourquoi, depuis les origines, l’espèce humaine a conçu le mariage comme un lien qui n’est possible qu’entre un homme et une femme. Au cours des dernières décennies on a vu apparaître une manière de voir différente, selon laquelle la sexualité serait le résultat de choix que nous ferions librement. Comme le disait Simone de Beauvoir, "On ne naît pas femme, on le devient". Pour cette raison, le mariage devrait être également ouvert à des personnes de même sexe. C’est la théorie du "gender", désormais répandue au niveau international, dans la culture, dans les lois et dans les institutions.
Toutefois il s’agit là d’une illusion, même si elle est partagée par un grand nombre de gens : en effet notre liberté est enracinée dans la réalité de notre être et, lorsqu’elle s’oppose à celle-ci, elle devient destructrice, surtout de nous-mêmes. Pensons, concrètement, à ce que peut être une famille dans laquelle il n’y a plus un père, une mère et des enfants ayant un père et une mère : les structures de base de notre existence seraient bouleversées, avec des effets destructeurs que nous pouvons imaginer mais pas prévoir dans leur totalité.
Nous sommes confrontés à un activisme à caractère juridique et social. Désormais le concept de mariage traditionnel paraît destiné à devenir quelque chose d’obsolète. Peut-être a-t-on l’illusion qu’en étendant l’institution du mariage à tous les types d’union on résout le problème de telle sorte que l’on peut dire que l’égalité est définitivement atteinte ?
C’est précisément cela, l’illusion : annuler la nature par une décision individuelle ou collective. Voilà pourquoi il est vain d’espérer trouver un compromis qui soit satisfaisant pour tout le monde, par exemple en introduisant, à côté du mariage qui resterait réservé à des personnes de sexe différent, des unions civiles reconnues légalement, auxquelles pourraient accéder également les homosexuels. D’une part ces unions ne donneraient pas satisfaction à cette demande de liberté et de parité absolues qui se trouve à la base de la revendication du mariage homosexuel et d’autre part elles constitueraient un double du mariage, inutile et nuisible. Inutile parce que tous les droits que l’on prétend vouloir protéger peuvent très bien être protégés – et ils le sont déjà en grande partie – si on les reconnaît comme des droits des personnes et pas comme des droits des couples. Nuisible parce qu’un simili-mariage, comportant moins d’engagements et d’obligations, mettrait encore plus en difficulté le mariage authentique, sans lequel une société ne peut pas tenir debout. [...]
Je voudrais établir une distinction à propos du concept d’égalité. Comprise comme étant l’égale dignité de tous les êtres humains, l’égalité est un principe sacré. En revanche, comprise comme étant la négation de toute différence et donc comme la prétention de traiter de la même manière des situations différentes, l’égalité est simplement quelque chose qui va contre la réalité.
[...] L’Église ne peut pas ne pas se battre pour l’homme, comme l’a écrit Jean-Paul II dans sa première encyclique – "Sur cette route qui conduit du Christ à l’homme, l’Église ne peut être arrêtée par personne" – et comme Benoît XVI l’a répété dans son discours de vœux à la curie romaine, à Noël 2012 : l’Église doit défendre avec la plus grande clarté les valeurs fondamentales constitutives de la vie humaine. D’autre part je n’ai pas l’impression que l’Église avance péniblement aujourd’hui. Dans le cas de la France, les évêques et les catholiques, ainsi qu’un très grand nombre d’autres citoyens, ont été vaincus sur le plan législatif, au moins pour le moment, mais ils ont montré une vitalité et une vigueur culturelle et sociale plus grandes que leurs adversaires. Il ne s’agit qu’en apparence du dualisme progrès/tradition : en réalité le véritable défi confronte deux conceptions de l’homme et je reste convaincu que l’avenir appartient à ceux qui savent reconnaître et accueillir l’être humain dans sa réalité authentique. Au contraire les illusions se dégonflent tôt ou tard, bien souvent après avoir provoqué beaucoup de dégâts. [...]"