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L'ABCD de l'égalité : un exemple de la dénaturation de l'école

Le philosophe Thibaud Collin lance un appel au ministre Hamon dans Le Figarovox. Extraits :

"Quel sera l'avenir de l'ABCD de l'égalité ? Fin de l'expérimentation, reconduction ou bien généralisation nationale ? Benoit Hamon semble partagé entre le souci de calmer le jeu et le désir de ne pas décevoir les esprits «progressistes» de sa majorité. Qui aura le dernier mot: le pragmatique ou l'idéologue? En attendant la réponse, ce programme visant à promouvoir «une culture de l'égalité et du respect entre les filles et les garçons» restera comme l'illustration de la dénaturation des valeurs de la République et des missions de l'école. Que révèle en effet l'ABCD de l'égalité si ce n'est la volonté de construire une nouvelle société en instrumentalisant l'école? Celle-ci n'a plus vocation à instruire mais à rééduquer. Revenons sur la logique animant cette politique.

La clef de voûte de ce programme est bien sûr le principe d'égalité. Tout ce qui contrarie celle-ci est taxé de discrimination. Or cette notion présuppose un critère objectif pour qualifier d'injuste la différence de traitement entre deux individus ou groupes comparables. [...] L'ABCD de l'égalité est parti du constat que les filles et les garçons ne s'orientaient pas de manière équivalente au cours de leur scolarité et à fortiori dans leurs études. Surreprésentation des garçons dans les filières scientifiques et les écoles d'ingénieurs, surreprésentation des filles dans les filières littéraires et les carrières à connotations sociales. [...]

[I]l s'agit de façonner un programme instaurant la parfaite égalité des chances. L'objectif de ce dispositif sera atteint lorsqu'à l'arrivée les filles et les garçons se répartiront de manière équivalente entre les différentes filières. Par exemple lorsque près de 50 % de jeunes hommes entreprendront une formation de sage-femme ou d'infirmier et que 50 % de jeunes femmes sortiront d'écoles d'ingénieurs. Pour réaliser ce but, il faut repérer les obstacles à combattre: c'est là que les études sur le genre entrent en scène.

Elles ont en effet pour objet les rapports sociaux de sexe. Il s'agit de comprendre comment ceux-ci se construisent et comment ils génèrent telle ou telle «domination», baptisée «sexisme». La mise à jour des mécanismes produisant l'inégalité et son travestissement en «normalité naturelle», permet de les déprogrammer pour les reprogrammer. Cette guerre, dont Pierre Bourdieu demeure l'inspirateur essentiel, implique donc une subversion avant tout mentale. Il faut réussir à extirper les chaines que les individus intériorisent inconsciemment. Ce sont les fameux «stéréotypes» qu'il s'agit d'objectiver pour que les élèves puissent s'en libérer. Mais comment libérer des gens qui se croient déjà libres? Pour Marx, il faut préalablement leur faire prendre conscience de leur aliénation et pour cela agir sur leurs représentations, leurs manières de vivre. Bref, il faut les rééduquer. Et s'ils résistent? Qu'à cela ne tienne, on les forcera à être libres!

[...] Cette politique de rééducation transforme l'école en un lieu d'agression permanente de l'enfant. Au nom d'une lutte contre la soi-disant «violence symbolique», les élèves sont brutalisés et niés dans le mystère et l'unité de leur personne sexuée. L'approche constructiviste des sciences sociales réduit la sexuation à un simple phénomène biologique et la vie de l'individu à un conflit entre les conditionnements sociaux et une liberté individuelle abstraite. Bref, ce paternalisme libertaire n'a rien à envier aux projets totalitaires mais il peut être invisible à nos yeux blasés car il est ordonné à la production de ce que Marcel Gauchet appelle «l'individu total». Monsieur Hamon, combien d'enfants seront-ils encore violentés pour produire quelques exemplaires incarnant une pure abstraction?"