Renouer avec l’histoire pour pouvoir revenir aux fondamentaux
31 décembre 2014
Jeanne Smits a réalisé un grand entretien avec Philippe de Villiers à propos de son magnifique Roman de Jeanne d'Arc. Extraits :
"Vous avez quitté la politique politicienne et vous dites aujourd’hui, à travers vos livres, l’importance de l’histoire, de renouer avec l’histoire pour pouvoir revenir aux fondamentaux qu’incarne si bien Jeanne d’Arc. Et vous avez noté à quel point les petits Français sont coupés de leur histoire. Or en Russie, le communisme a opéré une coupure encore plus radicale. Vous qui travaillez sur des scénarios de l’histoire russe pour le « Puy-du-Fou Tsargrad », pensez-vous que ce sont des blessures qui se guérissent ?
Oui. Aujourd’hui les Russes se précipitent sur leur histoire comme s’ils étaient assoiffés. Ils ont été privés d’histoire pendant soixante-dix ans. Depuis la chute du Rideau de Fer, ils reviennent à leur histoire avec un enthousiasme et une incandescence qui sont extraordinaires. Et extraordinairement touchants.
Que faut-il pour que les gens aient envie de leur propre histoire ?
Il faut un préalable. Qu’on cesse de dire aux Français que leur histoire est affreuse, et qu’elle n’a commencé que par la Révolution française. Faire commencer l’histoire de France il y a deux siècles, c’est une imposture. Toute demeure divisée contre elle-même périra. Nous sommes le seul pays au monde qui s’interdit de lui-même, d’une part de lui-même. Qui interdit à ses propres enfants de cultiver la mémoire des siècles de sa grandeur. La France n’a le droit d’étudier son histoire qu’à partir de la période trouble de la Révolution, qui renferme dans son ADN un gène terroriste. La Révolution, c’est l’éradication. Ne pas enseigner toute l’histoire de France, c’est continuer l’éradication.
Quand on veut éradiquer les crèches, par exemple à La Roche-sur-Yon, vous dites en substance : quelle que soit la loi de 1905, il fallait tenir bon. C’est une leçon pour tout le monde ?
Mais c’est une question de priorité ! Le droit est supérieur à la violence, mais il y a quelque chose qui est supérieur au droit, c’est la civilisation. Soljenitsyne disait très bien : « Quand un pays n’a plus de mœurs, il fait des lois. » S’il s’avère qu’une loi est contraire au principe même de la civilisation, alors il faut se tourner vers la civilisation plutôt que vers la loi. »
En effet, la France est une terre chrétienne. La crèche fait partie de nos racines, de notre identité, de notre patrimoine, de nos affections, de nos enfances, de nos symboles. Cette richesse est infiniment supérieure à je ne sais quelle élucubration, je ne sais quel juridisme d’une laïcité corrompue ou abîmée. La France est le seul pays au monde qui tente de vivre avec l’idée d’une religion séculière, d’un Etat qui n’existe plus. D’ailleurs, ceux qui ont fait interdire la crèche du Conseil général, que j’avais installée moi-même, sont les descendants directs des révolutionnaires qui avaient proposé aux Français, avec le succès que l’on sait, de substituer à la religion chrétienne la religion civile de la Révolution, avec le culte de l’Etre suprême et le changement du calendrier. En fait, le combat révolutionnaire continue.
Le principe de laïcité a été inventé par Jésus-Christ, par le christianisme : c’est la séparation du temporel et du spirituel. On n’a aucun complexe à faire : simplement, la laïcité n’est pas le laïcisme. Le laïcisme, c’est quand le temporel tente d’absorber le spirituel. Nous sommes devant deux tentations au milieu desquelles flotte la pauvre chrétienté finissante de notre pays. La première, c’est l’absorption du spirituel par le temporel, c’est le laïcisme à la Vincent Peillon, la Libre pensée, la franc-maçonnerie : l’idée que le spirituel n’est plus qu’un tout petit refuge dans la vie privée, où on peut murmurer derrière les fenêtres sa petite prière du matin ou du soir, pourvu qu’on ne nous entende pas dans la rue.
La deuxième tentation, c’est l’islamisme : l’absorption du temporel par le spirituel, l’idée que c’est l’imam qui conduit la cité. Finalement c’est le djihad qui mène la danse. Entre les francs-maçons et les djihadistes il y a une alliance objective, redoutable. Les uns détruisent, les autres remplissent le vide.
[...] Quand on est un vrai homme politique, on ne cesse pas de l’être. Simplement je fais de la politique par d’autres moyens. J’essaie de diffuser un message métapolitique, pour une raison simple. On nous dit qu’il y a une crise politique. Je ne le crois pas. Je crois que la politique fonctionne très bien. Il y a des élections, il y a un président, il y a un Parlement, des procédures, des calendriers électoraux. Les institutions fonctionnent.
Mais la réalité est beaucoup plus grave : il y a une crise métapolitique. La crise des repères fondateurs, la crise des valeurs fondatrices. Il n’y a plus de murs porteurs. Donc, c’est la politique du vide. La politique fonctionne – sur le vide. La question qui se pose, qui s’est posée à moi, est la suivante : faut-il participer à la politique du vide pour tenter de remplir avec énergie, disponibilité, et peine perdue le tonneau des Danaïdes ? Ou bien, ne vaut-il pas mieux monter sur son Aventin pour revenir sur les murs porteurs et faire un retour au discours sur les valeurs fondatrices ? Et c’est ce que j’ai fait.
Je pense que ce que j’ai fait quand j’étais homme politique n’était pas inutile ; je pense que ce que je fais maintenant est plus utile. La politique telle qu’elle se fait aujourd’hui est devenue un marécage, une piscine sanguinolente où les crocodiles mangent les caïmans. La politique n’existe plus. Pourquoi ? Parce que le pouvoir n’a plus le pouvoir. Vous parliez de la crèche… Ce sont des juges qui décident ! Où est le pouvoir ? Il n’existe plus. Il y a une loi et des juges ; les hommes politiques sont coupeurs de citrons. Ils le sont devant les banquiers de Francfort, les législateurs de Bruxelles, les stratèges du Pentagone, les négociateurs de l’OMC et les petits juges des tribunaux administratifs. Il ne reste au Parlement que le calendrier scolaire et la retraite des anciens combattants…
Les hommes politiques se sont défaits du pouvoir. Quand le pouvoir n’a plus le pouvoir, que reste-t-il ? Des querelles d’hommes, des ambitions déchaînées, c’est tout. Il y a toujours eu des ambitions, il y a toujours eu des querelles, il y a toujours eu des blessures, mais la différence avec les temps anciens, c’est qu’il y avait encore le pouvoir. C’étaient des querelles pour le pouvoir, au service d’un pays.
Aujourd’hui ce ne sont plus des querelles pour le pouvoir puisqu’il n’y a plus de pouvoir, il est parti ailleurs. En fait, la Révolution française a généré ce qu’on a appelé la démocratie, qui s’est empressée, au bout de deux siècles – ce n’est pas long – de disparaître au profit de l’oligarchie. Nous sommes gouvernés par des oligarchies qui ne sont contrôlées ni par le peuple, ni par personne. La mission des gens comme moi, qui ont l’expérience de la vie publique, c’est de hurler à qui veut l’entendre : « Regardez-les, ils s’agitent dans le vide. » Quand les gens s’intéressent aux élections, ça m’amuse, parce que je sais bien que ce sont les mêmes qui vont faire la politique des mêmes. Il faut refonder la légitimité. Elle ne peut reposer que sur le Service rendu."