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Chantal Delsol : "la mort ne fait pas de l'humain une machine dont on pourrait récupérer les pièces à son gré"

Chantal Delsol revient dans Valeurs actuelles sur l'amendement Touraine, qui veut faire du prélèvement d'organes "la norme par défaut" :

"(...)  faire fi de l’assentiment de la famille devant le cadavre est un déni de ce que le mort a été et est encore : un membre de la communauté des humains. Il est donc utile de préciser ceci : la mort ne fait pas de l’humain une machine dont on pourrait récupérer les pièces à son gré. C’est la vieille histoire d’Antigone : les cadavres des frères sont encore les frères, à traiter comme tels, et de façon si impérative qu’il vaut la peine d’y risquer sa vie, et même de la perdre.

L’individualisme ambiant laisse croire à notre souveraineté entière, qui nous rend maîtres absolus de nous-mêmes, de notre corps, de nos volontés et désirs ; le monde autour de nous (de la famille à la nature) demeurant le séjour de nos prédations. Il est logique que, dans cet esprit, une fois cadavres, nous devenions une somme de pièces de rechange, livrée à la convoitise et devenue, finalement, propriété de l’État. N’avons-nous pas d’ailleurs l’envie de devenir aussi performants, aussi lisses, aussi immortels que les machines ? Günther Anders, il y a bien longtemps déjà, parlait de la honte prométhéenne qui nous saisit devant les machines si bien rodées, si infatigables, qui par comparaison soulignent notre imperfection. Le rêve du posthumanisme consiste justement à nous identifier à des machines. On constate déjà que, dans les publicités, il arrive que le consommateur parle à sa machine comme à un enfant ou un animal de compagnie…

À force d’affirmer que tout est matière, que la pensée et la liberté ne sont que fatras de cellules, on est bien obligé de considérer un humain comme une masse de viande. On se demande alors pourquoi il faut le respecter, s’il ne consiste qu’en un assemblage de pièces à récupérer et ressemble finalement à une vieille montre. L’effroi que nous ressentons devant la Shoah ou le génocide arménien devrait nous convaincre de traiter nos semblables, morts comme vivants, avec moins de désinvolture."