« Heureux serez-vous »
02 novembre 2015
Homélie du père abbé de Solesmes pour la Toussaint :
"Par huit fois, nous l’avons entendu dans l’évangile, le Seigneur proclame le bonheur, la béatitude de ceux qui veulent bien le suivre ; en effet, cette joie est proposée à tous les disciples et non seulement aux apôtres. Le chant d’entrée de ce jour, avec sa magnifique mélodie, avait déjà donné le ton de la célébration, celui de la joie, puisque nous fêtons les saints qui, dans le ciel, après avoir avancé dans la foi tout comme nous, chantent désormais la gloire de Dieu, et l’Église nous invite à partager ce bonheur dans la communion des saints. Ceux qui jouissent de la béatitude éternelle n’étaient pas différents de nous lorsqu’ils cheminaient encore sur cette terre et, parmi eux, il y a certes de grands saints comme saint Jean Paul II ou sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, mais il y a incontestablement aussi des personnes que nous avons connues et fréquentées, il y a tous les saints de nos familles ; ils nous disent que la sainteté est possible, qu’elle est à notre disposition si, comme eux, nous acceptons de prendre les moyens que le Seigneur nous a présentés dans l’Évangile.
Le Concile dont nous célébrons le cinquantenaire a rappelé à juste titre que tous les baptisés sont appelés à la sainteté, puisque le baptême les a insérés dans le corps du Christ, le seul Saint, ainsi que nous l’avons chanté dans le Gloria (tu solus sanctus). La sainteté n’est donc pas un surplus proposé à certains seulement : être membres du Christ, c’est nécessairement être saints puisque nous recevons la sainteté qui provient de la Tête à laquelle nous sommes reliés, mais cela comporte aussi des exigences pour être conformes à cet état, cohérents avec notre vie de membres du Christ.
Saint Jean nous a laissé entrevoir la foule innombrable des saints en précisant qu’ils ont traversé la grande épreuve et lavé leurs vêtements dans le sang du Christ. Traverser la grande épreuve : voilà une perspective qui sans doute nous fait peur. Évidemment, il y a les martyrs qui ont professé leur foi au prix de leur vie, mais il y a aussi tous ceux qui ont confessé leur foi devant un monde païen ; tous, ils étaient pécheurs, comme nous-mêmes, tous ont été sauvés, comme nous-mêmes, par la mort et la résurrection du Seigneur ; tous ont été fortifiés par les dons de l’Esprit Saint et, en cela, nous leur ressemblons. Ils n’ont pas tous fait des choses extraordinaires, dignes de récits hagiographiques, mais ils ont été des serviteurs de Dieu et de l’Évangile. À nous non plus, il n’est pas demandé d’accomplir des miracles, sinon ceux d’une vie de foi ; il ne nous est sans doute pas demandé de pratiquer des exploits ascétiques, mais il nous est simplement demandé de demeurer fidèles à notre baptême et dociles à l’œuvre de l’Esprit en nous.
En nous faisant contempler l’exemple d’une telle multitude de saints, l’Église nous donne envie de les imiter. Mais qu’est-ce que la sainteté, sinon de vivre l’esprit paradoxal des béatitudes que l’Église nous invite à écouter et méditer une nouvelle fois en ce jour ?
À les entendre, nous pouvons être pris de vertige et de crainte, car elles vont à l’encontre de l’esprit du monde. Oui, le Seigneur nous a dit que nous étions dans le monde sans être du monde. Il nous faut avoir le courage de témoigner, devant le monde, de notre foi et de notre engagement à vivre parfois à contre-courant ; d’autres croyants l’ont bien fait et le font encore dans des situations plus difficiles que les nôtres. Les saints que nous célébrons aujourd’hui l’ont fait également, chacun avec la grâce qui lui était donnée.
Finalement, être saint, c’est avant tout être inséré dans la famille de Dieu et y persévérer, ce qui signifie écouter le Christ et suivre son enseignement et son exemple : « Si quelqu'un me sert, qu'il me suive, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur ». Suivre le Christ, c’est donc accepter de perdre sa vie ici-bas. Le chemin du renoncement, le chemin de la croix fait toujours partie de la vie chrétienne ; nous ne pouvons y échapper, mais il est la porte d’entrée du Royaume éternel. Suivre le Christ, c’est avant tout vivre l’esprit des Béatitudes qu’il a été le premier à mettre en pratique.
« La sainteté, disait le Pape Benoît XVI, exige un effort constant, mais elle est à la portée de tous car, plus que l'œuvre de l'homme, elle est avant tout un don de Dieu, trois fois Saint ». Saint Jean, nous l’avons entendu dans la seconde lecture, présente la sainteté comme l’aboutissement de notre progrès vers la parfaite filiation divine : « Voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu, et nous le sommes ». Ce germe de vie divine nous a été donné gratuitement le jour de notre baptême ; aussi « dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu » ; nous voulons tous devenir saints : nous le serons dans la mesure où nous laisserons se développer ce germe ; notre responsabilité consiste principalement à veiller sur la croissance de notre vie théologale en la nourrissant par la prière et les sacrements, et en demeurant fidèles à Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Quiconque met en lui une telle espérance se rend pur comme lui-même est pur » ; nous rejoignons ainsi la béatitude : « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ».
Dieu nous a aussi aimés le premier, laissons-nous tout simplement aimer et soyons pleins de confiance en recevant cet amour et en l’imitant à notre pauvre manière, avec la force de l’Esprit Saint.
Dans la célébration de l’Eucharistie, nous sommes unis, de façon unique, au Seigneur et nous nous offrons avec lui, bénéficiant également de la purification qu’il nous accorde dans son sang, le sang dans lequel il a sanctifié l’Église, son Épouse, et dans lequel il a lavé les vêtements des saints. Dans la célébration de l’Eucharistie, nous recevons les dons saints qui nous sanctifient. Dans la célébration de l’Eucharistie, nous sommes également en communion avec les saints de tous les temps dont nous faisons mémoire, et, tout d’abord avec la Vierge Marie, la Mère de Jésus, la Mère de l’Église et notre Mère, qui veille avec sollicitude sur notre désir de sainteté."