Euthanasie : l’interdiction à donner la mort protège à la fois le patient mais aussi le corps médical
04 mai 2018
L'Espace éthique de la Région Ile-de-France publie une intervention intéressante d'Anne-Laure Brison, infirmière en soins palliatifs. En voici un extrait :
"[...] Il y a des souffrances physiques qui sont là, qui sont réelles, mais qui sont aujourd’hui rapidement identifiables et surtout « soulageables » par les antalgiques. Et puis il y a les souffrances psychologiques, et psychiques. Ces souffrances-là, comment les règle-t-on ? Il y a deux solutions :
- Il y a l’écoute, la présence, tout simplement. “Vous avez peur ? Vous voulez m’en parler ? Attendez, je m’assieds, je prends le temps”. Comment puis-je faire ça? Parce qu'à côté, il y a ma collègue infirmière qui est en train de distribuer les médicaments, en train de répondre aux sonnettes, en train de gérer le service. Si elle a besoin de moi, elle vient me chercher et hop ! Je vais chercher une bénévole qui va s’asseoir, prendre le relais, prendre le temps…
- La 2ème solution, c’est la chimie. “Je suis angoissé”. Je peux vous proposer un anxiolytique pour agir sur l’anxiété, un hypnotique si vous voulez dormir.
C’est là qu’intervient la sédation ou plutôt plusieurs types de sédations :
- Dormir de manière intermittente. Pour une sieste ; ou toute la nuit : un patient peut demander à avoir un pousse-seringue qui le fasse dormir de 20h à 8h. Pour être frais et dispo pour la journée à venir ;
- On peut aussi dormir de manière temporaire, en réponse à un symptôme particulier (l’angoisse par exemple) ou en prévention d’un soin désagréable ; On appelle ça une sédation légère, qui permet au patient d’être dans un état de somnolence et de bien-être, tout en gardant un certain seuil de conscience ;
- Enfin la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès. C’est un peu obscur pour certains : ce type de sédation, apport de la loi Claeys-Leonetti, permet à des patients qui considèrent leur souffrance comme intolérable, que ce soit sur le plan physique, psychologique, psychique ou spirituel de pouvoir dormir et que la mort survienne de manière naturelle mais dans leur sommeil. Et cette sédation, ce n’est pas pour les gens qui veulent mourir mais pour les gens qui vont mourir. Je m’explique : elle n’a pas pour intention de modifier cette temporalité-là, la mort surviendra quand elle surviendra, en revanche on vous assure que vous serez endormi quand elle surviendra. Cela ne se peut que lorsque le pronostic vital est engagé à court-terme. Qu’est-ce que ça veut dire ? Pourquoi une telle imprécision de la loi ?
Comme je l’ai dit, c’est inconnu. Aucun médecin, même le plus qualifié, ne pourra vous dire : “vous mourrez demain, le 12 avril, à 17h40”. Ça c’est dans la fiction, si on peut voir le futur, ça c’est dans Le roi se meurt, Ionesco “Tu mourras dans 1h25”. Personne ne peut dire ça. C’est pour cela que la loi, comme elle est sage et qu’elle parle de quelque chose d’inconnu, nous dit que c’est au médecin, de manière collégiale, de pouvoir rendre compte de ces situations. C’est prévu par un protocole, c’est tracé et le principe de collégialité permet d’éviter au médecin d’être seul pour pronostiquer un patient.
Pourquoi vous dis-je ça ? Pourquoi cette liste ? Parce que, comme vous le voyez, les moyens pour soulager la souffrance existent et sont nombreux. Pour moi, le véritable enjeu est la création et la formation de nouvelles équipes de soins palliatifs.
Avec l’euthanasie, nous attaquerions deux principes fondamentaux :
- Le médecin a interdiction de provoquer intentionnellement la mort
- Ma liberté commence ou s’arrête celle d’autrui
Si vous légalisez l’euthanasie, c’est-à-dire, si vous reconnaissez comme un droit le fait de pouvoir dire “Je veux mourir et je veux mourir maintenant” ; si la mort est un droit pour le patient, alors l’euthanasie est un devoir pour le médecin. Ma liberté s’arrête où commence celle d’autrui. Je rappelle la définition de la liberté proposée dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen “La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui”.
J’arrive dans une chambre de patient. “Je vais mourir” … “Je veux mourir”…"Ce temps d’attente n’a aucun sens pour moi"… Aujourd’hui, qu’est-ce que je fais ? Je m’assieds, je lui propose quelque chose pour s’apaiser, je lui propose d’appeler sa famille, ses proches, je luis propose de voir une psychologue...Je prends le temps, je le regarde comme une personne digne d’être regardée ; je prends le temps pour lui. Alors je suis très certainement indigne de ce qu’il va me dire, je ne suis que moi, je ne suis pas sa famille, et si ça se trouve il n’a plus de famille, sa souffrance est réelle et je ne la nierai jamais, si ça se trouve la solution n’existe pas. C’est nul mais au moins je suis une personne qui le regarde et qui lui dis : “Tu mérites que je m’arrête, et que je marche à ton pas parce que tu me dis ‘Je veux mourir’”.
Si je reconnais l’euthanasie comme un droit. Quand cette patiente va me dire “Je veux mourir”, mon seul devoir à moi, ce ne sera pas de m’asseoir mais de répondre “ah… je vais prévenir le médecin” et je tourne le dos à cette souffrance parce que je sors de la chambre. Super réponse ! Et que va faire le médecin ? Son devoir sera d’écouter, de prescrire un produit létal. De prescrire à qui ? A une infirmière. On est en soins palliatifs et on a un problème, un problème grave, c’est que le médecin est seul auteur de sa prescription, ma collègue est toute seule derrière sa seringue et le patient se retrouve seul dans la chambre avec sa demande.
L’interdiction à donner la mort protège certes le patient mais elle protège aussi le corps médical. Si la mort n’est pas un droit c’est parce que la donner ne peut devenir un devoir. D’ailleurs, si la mort est un droit, alors pourquoi le restreindre ; nous serions obligés de le reconnaître comme tel pour les enfants, les personnes handicapés, les patients atteints de maladies neurodégénératives, autrement dit, les personnes en situation de faiblesse. Attention à l’abus de faiblesse ! Je voudrais profiter des Etats Généraux de la Bioéthique pour demander le développement de la culture palliative en France, qui passe par la formation de tout personnel de santé susceptible d’accompagner un proche et sa famille vers la mort ; et l’accord de moyens financiers conséquents pour y parvenir."
C'est ce que veut le député Jean-Louis Touraine : abuser de la faiblesse des personnes.
"Aucun médecin, même le plus qualifié, ne pourra vous dire : “vous mourrez demain, le 12 avril, à 17h40”. Ça c’est dans la fiction, si on peut voir le futur, ça c’est dans Le roi se meurt, Ionesco “Tu mourras dans 1h25”. Personne ne peut dire ça."
Cela m'a été annoncé pour mon grand-père et pour ma grand-mère hospitalisés à Lyon avec un bémol je l'admets: on m'a annoncé - avec quelques années d'écart - leur mort pour le lendemain avant la fin de matinée.
La non-prophétie s'est réalisée avec une précision diabolique pour les deux. Je n'ai pas été choqué pour mon grand-père, je suis dans le doute depuis qu'on m'a fait la même annonce pour ma grand-mère deux ans après.
Les deux avaient vécu, c'est très clair. Mais une telle précision, qui rappellerait, si c'était possible les frappes chirurgicales otaniennes, a de quoi remuer un simple humain dans sa confiance en leurs saintetés du corps médical.
Rédigé par : Dredd | 04 mai 2018 à 17:09
Madame bravo. Votre métier est extrêmement respectable. Heureusement, des infirmières qui agissent comme vous, vis à vis des malades "en fin de vie" il y en a.
Merci pour votre témoignage clair et poignant.
Rédigé par : HAËNTJENS | 04 mai 2018 à 21:03