Scandales Maciel et McCarrick : suivez l'argent
05 septembre 2018
Extrait de la traduction d'un article d'Aldo Maria Valli par Benoît-et-moi :
"Question : Qu'ont en commun le père Marcial Maciel et l'archevêque Theodore McCarrick ?
Pour ceux qui s'occupent des choses du Vatican, la réponse est facile. Marcial Maciel, fondateur des Légionnaires du Christ, et le cardinal McCarrick, archevêque de Washington de 2000 à 2006, ont malheureusement été au centre d'événements graves relatifs à des abus sexuels. En 2006, Marcial Maciel a été sanctionnée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi avec la peine canonique de renoncer à tout ministère public, pour abus sexuels et délits de pédophilie qui se sont poursuivis pendant des décennies. Quant à McCarrick, nous savons que, reconnu coupable d'abus sur des séminaristes, en juillet de cette année, il a présenté sa démission du Collège des Cardinaux et le Pape François l'a acceptée.
Mais, au-delà des scandales d'abus sexuels, tous deux ont en commun un autre élément: ils étaient tous deux de grands financeurs du Vatican. Quand on dit "grand", il faut penser à d'énormes sommes. Et c'est probablement aussi pour cette raison que, malgré leurs péchés, ils ont bénéficié de plusieurs protections.
Marcial Maciel est mort en 2008. McCarrick, en revanche, est vivant et récemment, avec le mémorandum explosif diffusé par Mgr Carlo Maria Viganò, il est au centre d'un millier de questions. Deux surtout: pourquoi le Pape François, qui a été averti par Viganò des abus de McCarrick en juin 2013, n'est intervenu qu'en juillet de cette année, en acceptant la démission du cardinal? Et pourquoi, bien qu'il semble que tout le monde connaissait la conduite morale du cardinal, l'affaire a-t-elle explosé si tard ?
L'hypothèse est que, plus que par l'Esprit Saint, McCarrick était protégé par les millions de dollars qu'il envoyait régulièrement au Vatican à travers la Papal Foundation, fondée en 1988 précisément par lui, avec le cardinal John Krol et le cardinal John O'Connor. La Papal Foundation fonctionne selon un principe simple: «Les donateurs peuvent être des individus, des fondations ou des groupes fraternels. L'adhésion commence par la promesse de donner 1 million de dollars sur une période maximale de dix ans, avec un don minimum de 100.000 $ par an. Ceux qui choisissent de prendre cet engagement deviennent Stewards of Saint Peter et se joignent à un réseau croissant de catholiques américains dévoués au service du Successeur de Pierre». Sur son site Web, la fondation affirme que depuis 1990, elle a recueilli plus de 215 millions de dollars. Un joli pactole, très important pour les comptes du Saint-Siège.
Lorsque la Papal Foundation a vu le jour, le Vatican sortait, les os brisés, de l'affaire Ior-Marcinkus et du scandale de la Banco Ambrosiano. L'idée était d'impliquer les riches laïcs américains, afin d'assurer au Pape des revenus en éveillant leur générosité. Une excellente idée. Dans le cadre de cette activité, McCarrick s'est avéré être un formidable collecteur de fonds. Comme l'écrit Michelle Boorstein dans le Washington Post, depuis son arrivée à Washington, en provenance de Newark, l'«Oncle Ted» s'est révélé habile à fréquenter des gens qui comptent et peuvent donner de l'argent. Il suffit de dire que le président George W. Bush, au début de son mandat en 2001, s'est rendu pour la première fois à un dîner privé au domicile de l'archevêque, qui venait d'arriver à Washington. [...]
McCarrick a réussi à se mettre au centre d'un réseau de relations et d'amitiés qui lui a permis de continuer sans être dérangé la pratique homosexuelle, avec une préférence marquée pour les séminaristes. La tactique utilisée par McCarrick pour se mettre à l'abri n'est pas nouvelle, mais elle est toujours valide. Lors des auditions des personnes qui ont témoigné contre lui, certains ont dit qu'ils étaient au courant de rumeurs et d'accusations contre l'archevêque, mais l'«oncle Ted» était si populaire que les accusateurs potentiels s'autocensuraient: comment aller contre un homme si admiré? Dans le monde ecclésial, le CV de McCarrick, avec son ascension constante vers des positions toujours plus élevées, bloquait dans l'oeuf toute possible contestation. Comment faire des observations à un tel personnage, ami de tant de gens puissants et auquel on rendait hommage partout? [...] Une personne qui a travaillé longtemps avec le cardinal a dit au Washington Post que McCarrick a tout fait pour s'attirer les bonnes grâces de Jean-Paul II. Partout où le pape Wojtyla est allé, McCarrick était là. A Cuba, au Mexique, partout. «Il cherchait à se faire remarquer». C'est pour cette raison qu'il devint l'ami du secrétaire du pape, Stanislaw Dziwisz. Et c'est pour cette raison que, quand Jean-Paul II s'est rendu aux États-Unis en 1995, la première étape du voyage fut Newark, la ville dont McCarrick était alors évêque et où le pape a été accueilli par le président Clinton. [...]
Une autre de ses forces était qu'il recueillait des fonds pour tout le monde, aidait tout le monde et établissait des relations avec tout le monde, conservateurs et progressistes, pour toutes sortes de causes nobles, y compris les politiques visant à prévenir les abus sexuels du clergé. [...] C'est à la fin du pontificat de Jean-Paul II que les rumeurs sur le comportement sexuel de l'oncle Ted ont commencé à circuler avec plus d'insistance, depuis les séminaires jusqu'aux palais sacrés romains. «Le cardinal met les séminaristes dans son lit», chuchotait-on. Mais dans ces cas, il y avait toujours quelqu'un prêt à le défendre en disant: des voix malveillantes, que font circuler les traditionalistes pour dénigrer un archevêque considéré comme trop libéral. [...]
Alors, pendant toutes ces années, l'oncle Ted s'en est-il tiré grâce à l'argent qu'il a versé dans les coffres du Vatican par l'intermédiaire de la Papal Foundation?
A propos de la Papal Foundation, il est nécessaire de rappeler un événement récent et retentissant: la première querelle entre la fondation et le Pape François. Nous sommes à l'été 2017 quand parvient à la Papal Foundation, venant du Pape, la requête d'allouer une partie des fonds disponibles à la fondation au profit de l'IDI de Rome, l'Istituto Dermopatico dell'Immacolata, propriété du Vatican, pour assainir les caisses dévastés (un crash de 845 millions d'euros, avec vingt-quatre inculpations pour faillite frauduleuse, émission et utilisation de fausses factures, dissimulation d'écritures comptables, détournement de fonds publics et blanchiment d'argent). La requête du Pape est péremptoire: 25 millions de dollars en trois ans. Une somme énorme, si l'on pense que la fondation ne donne généralement jamais plus de 200.000 $ par projet. C'est pourquoi, face à la demande qui vient de Rome, il y a une révolte au sein de la fondation: nous aidons volontiers le pape, disent les riches stewards, pour ses œuvres de charité et d'aide à l'Église, mais il ne semble pas juste de subventionner un hôpital qui, dans le passé, était très mal géré. Cependant, comme c'est le Pape lui-même qui demande l'argent, la fondation finit par payer: 8 millions de dollars immédiatement, puis 5 millions de dollars en janvier de cette année. Le reste, selon le comité, sera envoyé plus tard. Mais le mécontentement est palpable. Le président de la commission qui s'occupe de la révision des comptes prend plume et papier et rédige un rapport dénonçant l'anomalie d'une procédure «négligente», «imparfaite» et «contraire à l'esprit de la fondation». Entre autres choses, ajoute-t-il, les huit premiers millions ont été versés sans même avoir de documentation sur l'utilisation future de l'argent par l'IDI. «Si dans nos carrières personnelles - ajoute-t-il - nous avions consenti une telle imprudence, nous n'aurions jamais atteint les exigences pour faire partie de la Papal Foundation». En somme, la Papal Foundation verse l'argent obtorto collo [contrainte et forcée]. Et qui fait pression pour cela? Le cardinal Donald Wuerl, successeur de McCarrick comme archevêque de Washington, ami de McCarrick et président du conseil d'administration de la fondation. Le réviseur des comptes de la fondation démissionne en signe de protestation, mais les dés sont jetés. Restent pourtant les grognements: donner de l'argent à l'IDI à Rome, rappellent les riches financiers, c'est faire un usage abusif de la fondation, qui s'occupe généralement de causes très différentes et plus nobles, comme la lutte contre la pauvreté et la construction d'écoles, de bibliothèques et de centres médicaux dans les pays qui en ont le plus besoin. De plus, pour la première fois, la Papal Foundation se scinde en deux. D'un côté, les évêques qui étaient membres du conseil d'administration, en faveur de la demande du Pape, et de l'autre, les laïcs, clairement opposés. Et François comment a-t-il réagi? Il a annulé l'audience annuelle accordée aux administrateurs de la fondation.
À ce stade, la question est la suivante: peut-on imaginer que ces tensions ont joué un rôle dans la fin du silence et du soutien dont McCarrick jouit depuis si longtemps?
Le nom du cardinal a évidemment disparu de la liste des membres de la fondation. Mais est-il possible que quelqu'un, en guise de représailles pour l'utilisation abusive des ressources de la Papal Foundation, se soit adressé à Mgr Viganò et lui ait demandé de sortir à découvert avec la nouvelle que le pape, depuis juin 2013, était au courant de la conduite immorale de McCarrick ? Trop tordu, tout cela? C'est possible. Mais la piste mérite d'être explorée. Rod Dreher dans une reconstruction qui a sa propre logique écrit: «L'hypothèse est que Viganò dit la vérité sur le sexe gay, l'implication de la hiérarchie catholique et une dissimulation papale, mais que ses révélations pourraient être liées à une lutte acharnée pour l'argent». Interrogé par nous à ce sujet, Mgr Viganò a déclaré: «Personne de la Papal Foundation ou des cercles qui lui sont proches na m'a jamais contacté». Quoi qu'il en soit, la vieille règle qui recommande, pour atteindre la vérité, "suivez l'argent", reste valide."