Vos blogueurs vous proposent selon leur mode habituel leurs réflexions sur une question d'actualité controversée, les OGM. Nous espérons qu'elle sera un apport intéressant sur ce problème à la fois important et complexe. Ce post servira également de droit de réponse à la diatribe outrancière et mensongère que Patrice de Plunkett glisse à notre encontre -car il s'agit bien du SB- dans un commentaire [3e commentaire]. Il est dommage qu'un journaliste catholique ne sache pas dépasser sereinement ce genre de querelle au nom du combat commun, mais nous ne nous étendrons pas plus sur cet écrit dont nous vous laissons juger la hauteur de vue, la charité et la véracité.
La tâche de parler des OGM est rendue difficile par le nombre de questions d'ordre moral, économique, politique ou social qui s’entremêlent autour de cette problématique. C’est pourquoi, plus que la prétention d'une réponse toute faite ou tranchée comme les médias les aiment, nous vous proposons la trame de notre réflexion avec des liens pour approfondir les différents points.
Précisons avant tout que l’Eglise, si elle a initié sa réflexion sur ce sujet depuis plusieurs années, n’a pas encore de position officielle sur la question.
1 - Quid des OGM ?
La transgénèse est une technique consistant à introduire un ou plusieurs gènes (présentant des caractères jugés intéressants) dans des cellules végétales ou animales pour le ou les transmettre aux générations successives. L’organisme ainsi transformé est appelé organisme génétiquement modifié (OGM) ou organisme transgénique. De nombreuses céréales sont ainsi modifiées : blé, maïs, colza, etc. Il s’agit bien d’une technique issue de manipulations génétiques.
2 – L’actualité des OGM
Depuis 1999, un moratoire était en vigueur qui interdisant la diffusion et la culture des OGM dans l’Union européenne. Celui-ci a pris fin le 19 mai 2004 à la suite de l’aboutissement d’un accord des Quinze sur l’étiquetage et la traçabilité des OGM.
Le Parlement français avait depuis autorisé l’expérimentation des plantes transgéniques en plein champ, sachant que dans le monde 56 % du soja, 28 % du coton et 14 % du maïs sont génétiquement modifiés, créé le Conseil des biotechnologies qui sera composé de scientifiques et de représentants de la société civile et fait part de son intention de légiférer ultérieurement sur les OGM en prenant pour base les 60 propositions contenues dans le rapport de la mission parlementaire créée à cet effet et s’inspirant des directives européennes en attente de transposition.
Hier a été adoptée par le Parlement français une loi sur les OGM qui, une fois encore, n’est en grande partie que la transposition dans le droit français de directives européennes de 2001. Nous ne nous étendrons pas sur cette loi, mais il convient de rappeler qu'elle légifère sur les OGM en France (recherche, culture et consommation) mais ne dit rien de l'importation de produits OGM.
3 – L’état des travaux de l'Église sur les OGM.
Au Vatican : En 2003, le Conseil pontifical "Justice et paix" a organisé un séminaire sur le thème "OGM : menace ou espérance ?". Comme l’explique le cardinal Martino dans son discours d’ouverture :
"Il s'agit, dans ce cas également, de donner suite à une exigence profonde et essentielle de la mission religieuse et morale de l'Eglise, celle d'éclairer de la lumière de l'Evangile tout ce qui concerne la promotion de l'homme et l'affirmation de sa dignité. L'Eglise le fait, en respectant la loi naturelle, en mettant à profit les résultats de la recherche scientifique, en actualisant le message des Ecritures saintes et en appliquant les principes de sa doctrine sociale ».
Il ajoute :
"La domination de l'homme sur les autres êtres vivants, toutefois, ne doit pas être une domination despotique et démente; au contraire, il doit "cultiver et protéger" les biens créés par Dieu. Des biens que l'homme a reçus comme un don précieux, placés par le Créateur sous sa responsabilité".
De cette vision des limites naturelles fixées à l’homme par le Créateur, il définit le sens de ce devoir de cultiver :
"L'homme, doté d'une intelligence grâce à laquelle il est capable de saisir le sens des choses, doit protéger les biens de la terre, qu'il a reçus en don. Doté de la capacité de découvrir les causes, les lois et les mécanismes qui gouvernent les êtres, vivants ou non, et par conséquent capable d'intervenir sur ceux-ci, il doit utiliser ces capacités pour "cultiver" et non pour détruire.
Cultiver signifie intervenir, décider, faire, ne pas se résoudre à ce que les plantes poussent au hasard.
Cultiver signifie améliorer et perfectionner, afin que viennent des fruits meilleurs et plus abondants.
Cultiver signifie mettre en ordre, nettoyer, éliminer ce qui détruit et abîme.
Cultiver représente le meilleur moyen de protéger".
Les conclusions de ce séminaire ne sont pas encore, à notre connaissance, accessibles sur internet.
Trois autres actions intéressantes :
En 2002, trois jésuites qui avaient contribué à la discussion qui mena au refus de la Zambie d’accepter du maïs OGM en provenance des Etats-Unis ont estimé que l’enseignement social de l’Eglise qui se base sur quatre principes (le bien commun, l’option pour les pays pauvres, la subsidiarité et la solidarité) va à l’encontre des mouvements géo-politiques et libéraux que préconisent les OGM.
En 2003, la commission sociale des évêques de France a publié ses réflexions :
"Mais ce qui est techniquement réalisable n'est pas toujours moralement acceptable: la régulation de ces innovations appelle une réflexion éthique approfondie, une autorité politique incontestée aussi bien face aux pressions des lobbies financiers qu'aux fluctuations émotionnelles de groupes laissés sans repères (...)
C'est pourquoi les applications des OGM ne devraient être développées que si elles procurent des bienfaits humains et écologiques significatifs. Il est prudent d'éviter des applications qui risquent plutôt de conduire à la dissémination des gènes ou de menacer la biodiversité (...)
Derrière les OGM, il y a des enjeux économiques considérables, qui intéressent les grandes firmes dont l'objectif est de s'assurer une position dominante sur le marché mondial. Si les OGM présentent des avantages, il est impossible d'exclure la question : « Quels avantages et pour qui ? »"
Plus récemment, Monseigneur Hubert Barbier, archevêque de Bourges et membre du Comité épiscopal Monde Rural s’est prononcé sur l'approche du problème et la façon dont il fallait réfléchir sur cette épineuse question. Il pose deux principes :
"Premier principe fondamental de notre contribution sur la base de la charité que nous pouvons avoir : faire en sorte que ce monde se développe et qu’il se développe d’une manière unie. Deuxième principe, il faut réfléchir et oser une parole".
Il aborde en conclusion le problème de la dose de risque à accepter face à toute nouveauté et conclue :
"Comment par ailleurs gérer précaution et solidarité ? Il peut y avoir aussi conflit de devoir. Il peut y avoir conflit d’intérêt et il faut savoir pour qui ? Il ne faut pas être naïf, il faut savoir à qui profitent les manières d’agir et de réagir d’aujourd’hui à propos des risques et du principe de précaution".
4 - Les enjeux en France et dans le cadre de la mondialisation
Ils sont de plusieurs ordres : moraux, sociaux, écologiques, économiques, etc.
Sur le plan moral, des questions restent ouvertes : Est-il acceptable que l’alimentation de tous soit entre les mains de seules firmes internationales ou petit à petit le devienne? Est-il licite de modifier les structures de la Création et à quels risques? De telles expériences peuvent-elles être menées à une telle échelle sans que les risques humains, sanitaires ou écologiques n’aient été véritablement mesurés ?
Sur le plan écologique, aucun scientifique ne s’est prononcé sur les conséquences à long terme de la transgénèse. Face à cette inconnue, des risques sont effectivement pris sur les répercussions sur les organismes humains et sur la Création.
Sur le plan économique, le risque majeur devenu aujourd’hui une réelle menace est l’appropriation du marché par de grandes firmes internationales qui peuvent détenir à elles seules la main-mise sur l’alimentation dans le monde. Ce monopole économique sur un point aussi vitale est humainement irrecevable. Il y va de l'indépendance des pays et du devoir des Etats d'assurer la sécurité et la vie de ses ressortissants.
Enfin, sur un plan politique, l’obligation faite à la France de transposer les directives européennes lui enlève tout pouvoir d’ouvrir une réflexion morale, économique ou sociale et de pouvoir en tenir compte. L'indépendance politique de la France n'étant plus, c'est bien vers les structures européennes et non vers leurs exécutants du Parlement français qu'il faut désormais se tourner. A ce titre on peut s'interroger sur les réelles motivations des opposants médiatiques aux OGM, qui connaissent pertinemment le rôle de la Commission européenne sur ce sujet et qui ne le dénoncent pas.
5 - Pistes de réflexion
En effet, il ne semble pas exister, en dehors de toute idéologie, de réponse toute faite à l'ensemble des interrogations levées par la complexité du problème des OGM :
La parole du Pape sur le rapport entre paix et respect de l'environnement :
"le respect de la nature est étroitement lié à la nécessité de tisser entre les hommes et entre les Nations des relations dans lesquelles on porte attention à la dignité des personnes et qui puissent satisfaire leurs besoins authentiques. La destruction de l'environnement, son usage impropre ou égoïste et la mainmise violente sur les ressources de la terre engendrent des déchirures, des conflits et des guerres, justement parce qu'ils sont le fruit d'une conception inhumaine du développement. En effet, un développement qui se limiterait à l'aspect technique et économique, négligeant la dimension morale et religieuse, ne serait pas un développement humain intégral et finirait, parce qu'il est unilatéral, par encourager la capacité destructrice de l'homme".
Le compendium de la Doctrine sociale de l'Eglise apporte sa contribution sur l'usage des biotechnologies (paragraphes 472 à 480) :
"Les nouvelles possibilités offertes par les techniques biologiques et biogénétiques actuelles suscitent, d'une part, espoirs et enthousiasmes, et, d'autre part, alarmes et hostilités. Les applications des biotechnologies, leur licéité du point de vue moral, leurs conséquences pour la santé de l'homme, leur impact sur l'environnement et sur l'économie, font l'objet d'études approfondies et d'un vif débat. [...]
La vision chrétienne de la création comporte un jugement positif sur la licéité des interventions de l'homme sur la nature [...] Les biotechnologies modernes ont un fort impact social, économique et politique, au plan local, national et international. Elles doivent être évaluées selon les critères éthiques qui doivent toujours orienter les activités et les rapports humains [...] Dans un esprit de solidarité internationale, différentes mesures peuvent être mises en œuvre quant à l'usage des nouvelles biotechnologies.
- Il faut faciliter, en premier lieu, des échanges commerciaux équitables, libres de contraintes injustes. [...]
- Il est indispensable de favoriser aussi la maturation d'une autonomie scientifique et technologique
- Les scientifiques et les techniciens engagés dans le secteur des biotechnologies sont appelés à travailler avec intelligence et persévérance dans la recherche des meilleures solutions à apporter aux problèmes graves et urgents de l'alimentation et de la santé. [...]
- Les entrepreneurs et les responsables des organismes publics qui s'occupent de la recherche, de la production et du commerce des produits dérivés des nouvelles biotechnologies doivent tenir compte non seulement du profit légitime, mais aussi du bien commun. [...]
- Les politiciens, les législateurs et les administrateurs publics ont la responsabilité d'évaluer les potentialités, les avantages et les risques éventuels liés à l'utilisation des biotechnologies. Il n'est pas souhaitable que leurs décisions, au niveau national ou international, soient dictées par des pressions [...]
- Les responsables de l'information aussi ont une tâche importante, à accomplir avec prudence et objectivité. La société attend d'eux une information complète et objective, qui aide les citoyens à se former une opinion correcte sur les produits biotechnologiques, surtout parce qu'il s'agit de quelque chose qui les concerne personnellement en tant que consommateurs possibles. Par conséquent, il faut éviter de céder à la tentation d'une information superficielle, alimentée par des enthousiasmes faciles ou par des alarmismes injustifiés."
Nous ouvrons nos commentaires aux apports constructifs (liens, écrits, etc.) afin de contribuer au bien commun dans la vérité et la Charité.
Le Salon Beige